Aurélie Nemours
J’ai fait le choix d’inviter Aurélie Nemours pour cette première édition d’Albedo 2016 afin de contextualiser l’exposition des 3 autres artistes présentés dans le cadre artistique et philosophique auquel chacun a souvent référé.
A. Nemours est en effet, en France, une artiste exceptionnelle qui a toujours revendiqué les héritages de Mondrian et de Malevitch. Mais la coïncidence historique veut que son œuvre se situe dans l’exact esprit du manifeste de Malevitch qui, il y a cent ans, à Saint-Petersbourg, révolutionna la question du sujet même de la peinture avec son Quadrangle noir (ou Carré noir sur fond blanc) qui est devenue l’icône de la peinture moderne et contemporaine, et une référence constante dans l’œuvre de Nemours.
Or son œuvre « abstraite », et notamment la série Le Rythme du millimètre, est l’expression picturale d’une quête qui est, derrière ce carré, celle d’un espace de l’absolu. En effet, son œuvre entière s’ancre dans un projet métaphysique, celui de questionner non seulement la place de l’homme dans le monde, mais encore la réalité propre à l’homme face aux nouvelles dimensions de l’espace, immense espace du fait de la conquête de l’univers entreprise par la science depuis déjà un siècle.
En effet, son œuvre se lit dans le cadre
« du progrès de la science moderne qui démontre avec force combien cet univers observé – l’infiniment petit non moins que l’infiniment grand – échappe non seulement à la grossièreté de la perception humaine, mais aussi aux instruments ingénieux construits pour son affinement. », comme l’écrit Hannah Arendt dans son ouvrage La crise de la culture.
Pour Aurélie Nemours, l’art est une quête
de l’essentiel qui s’est exprimée plastiquement au travers de quatre mots clés (figure, rythme, nombre, couleurs) et d’un vocabulaire plastique universel (la verticale, l’horizontale, le carré,
le point, la croix), comme « messagers mystérieux du monde réel », selon l’expression de
Max Planck.
Elle aimait citer les grands savants qui ont œuvré à la conscience de la dimension relative
de l’homme face à l’univers.
Nous présentons ici quelques-unes de ses estampes des années 80-90, qui nous mettent face à des représentations de ces « messagers mystérieux » qui invitent notre regard
à voyager dans un espace à n dimension
(que nous percevons en première lecture
à deux dimensions). Il s’agit en fait d’un « monde sans objet » (terrestre), un monde où l’artiste
a révélé la forme par la géométrie la plus minimale, engendrant au-delà du rythme ce que nous appréhendons comme le vide, qui n’est pas le rien mais une plénitude pour l’esprit.
Pascal Fancony, Février 2016