James Guitet

James Guitet


Premier lieu, les années 50

Dans la petite maison où je suis née, à deux pas du château d’Angers, mon père peignait dans

la salle à manger dont il avait fait la décoration, créé les meubles, dessiné les motifs des tapis,

des nappes et des serviettes de table que ma mère brodait.

Deuxième lieu, les années 60

Il se situait à Versailles, dans un appartement de l’époque de Louis XIV, donnant sur la rue Royale. Le salon servait d’atelier, son chevalet était éclairé par d’immenses fenêtres à « espagnolettes ».

Il réalisa des peintures en matière évoquant des écorces d’arbres.

Nous n’avions que deux rues à traverser et le Parc du Château nous offrait de grandes promenades. Nous faisions, une fois par semaine, le tour

de la pièce d’eau des Suisses accompagnés par

le grand ami de mon père, l’écrivain et critique d’art Michel Ragon.

Troisième atelier, les années 70

C’était encore à Versailles, un pavillon de deux étages, avec jardin, Impasse Marguerite.

Gaston Bachelard le qualifiait de « maison oniriquement complète », car il était pourvu d’une cave et d’un grenier. Le grenier, qu’on appelait le pigeonnier, servait d’atelier à l’artiste et la cave accueillit la presse à graver. Ainsi l’ouvrage Les rêveries de la matière de Bachelard a été illustré par des gravures de James Guitet.

Quatrième atelier, les années 80

Ce fut son premier véritable atelier, anciennement celui d’un sculpteur, dans le XVème arrondissement de Paris. De plain-pied, bénéficiant d’une grande verrière, selon le principe du loft : toutes les pièces à vivre se trouvaient sur la mezzanine.

Pour sortir, nous devions traverser l’atelier.

Ma chambre, avec porte-fenêtre intérieure et balcon, offrait une vue plongeante sur cet espace chargé de vie et créations. Là encore, j’aimais observer à loisir, sans déranger, le travail du père, toujours en musique.

Cinquième atelier

A la même époque, une petite maison secondaire fut achetée à Saint Dyé-sur-Loire où, paraît-il, Jeanne d’Arc avait séjourné. Cette curieuse petite bâtisse, adossée au mur d’un rempart, permettait un atelier un peu sombre, car les Monuments historiques ont imposé des fenêtres à petits carreaux. A proximité, le château de Chambord nous offrait ses lumières douces et brumeuses, des promenades superbes dans l’immense parc qui me rappelait l’atmosphère du Grand Meaulnes.

Sixième atelier, les années 90

Ce fut l’immense atelier d’Issy-les-Moulineaux, une ancienne forge où il put exécuter

de très grands formats. La période qualifiée

de paysagisme abstrait laisse la place à des toiles symétriques et découpées laissant parfois apparaître le châssis.

Septième atelier, le Sud de la France

C’est la galeriste Noëlla Gest de Saint-Rémy-de-Provence qui nous trouva un mas à Maillane,

lieu de naissance de Frédéric Mistral. C’était un mas traditionnel en terre, gardé par deux platanes centenaires. James Guitet s’est lié d’amitié avec de nombreux peintres des Alpilles, dont Mario Prassinos. Lors de nos grandes promenades dans les pinèdes parfumées et ensoleillées, nous étions plongés dans les romans de Giono.

Huitième et dernier atelier, les années 2000

Le mas de Vaurargues est un hameau austère, perdu dans la garrigue uzétienne encore emprunte d’odeurs méditerranéennes, calme

et sauvage, propre à la méditation, au pied du Mont Bouquet marquant la Porte des Cévennes.

Mon père installe son atelier dans l’ancienne grange et y peint de très grands formats aux teintes lumineuses où les formes et la matière picturale s’estompent vers l’imperceptible.

A cette époque, il rencontre Pierre André Benoit avec lequel il fera de nombreux livres d’artiste. La maladie de Parkinson l’obligera à quitter définitivement son atelier d’Issy-les-Moulineaux.

Il restera près de quatre ans sans pouvoir peindre et s’éteindra le 14 décembre 2010, dans son lit,

à deux mètres de son chevalet, dans son atelier de Vaurargues.

Extraits du texte de Laure GRIMAL,

artiste plasticienne – Vaurargues, 21 février 2011

1925 Naissance à Nantes
1944-1947 Etudes à l’École des Beaux-Arts de Nantes puis à Paris, à l’académie Jaudon. Se lie d’amitié avec Michel Ragon, historien et critique d’art aux idées libertaires.
1948-1955 Enseigne au lycée d’Angers, tout en développant son œuvre, qui s’établit dans l’abstraction expressionniste d’abord, puis géométrique.
1956-1947 Enseigne à Versailles. Voyage aux Pays-Bas. Aborde la gravure à laquelle il consacre une partie de son temps. Expose aux biennales de Venise puis de Paris. Effectue un séjour en Grèce.
1965-1973 Pratique la recherche architecturale et la tapisserie, activités qui enrichissent son travail pictural.
Evolue vers un questionnement de plus en plus précis sur les éléments constitutifs de la peinture : vide                  et plein, voilement et dévoilement, vibration colorée et monochromie. Passionné d’architecture, ses plages
de couleurs évoluent vers des « énigmes architecturales », dira Michel Ragon.
1974-1978  S’oriente vers une abstraction minimaliste. Par le biais de la gravure, s’intéresse aux livres. Commence à créer ses « livres blancs », livres sculptés alliant volume et architecture, contrepoint presque ludique à sa peinture rigoureuse et secrète.
1979  Partage son temps entre Paris et le Gard. Ses dernières œuvres, proches du retable, le conduisent
(à partir de) à une peinture qui « devient de plus en plus support de méditation ». Après les années 80, son travail s’oriente vers une déconstruction de la peinture où le châssis et l’envers de la toile deviennent des éléments visibles
de la peinture.
2010 Décède à Seynes (Gard)
Expositions personnelles en France (Paris, Lyon, Nantes, Toulouse, Angers) et à l’étranger (Munich, Ascona, Biennale
de Venise, Montréal, Athènes, Ljubjana, Prague, Luxembourg)
Expositions collectives en France (Paris, Marseille, Saint-Etienne, Salon des Réalités Nouvelles) et à l’étranger (Berlin, Bruxelles, La Haye, Cardiff, Cracovie)
Présent dans de nombreux musées (dont Musée d’Art Moderne de Paris, Musée Cantini à Marseille, Musée de Verviers
en Belgique)